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Une vie sauvée par le rock n roll


François avait marché pendant des minutes qui lui parurent si courtes. A côté de lui, ce qui était devenue la raison de son existence passait les menus des restaurants en revue. Elle disait ne pas avoir faim, alors que lors de leurs journées de travail elle réussissait l’exploit de se dire affamée avant qu’il n’ait pensé à le faire.

Toujours est-il qu’elle avait envie de manger une salade dans un restaurant italien, salade qui devait contenir des tartines grillées recouvertes de fromage de chèvre. François avait d’abord trouvé l’idée saugrenue, un restaurant non italien aurait aussi bien pu lui servir sa salade, ce qui lui aurait évité de piétiner durant des heures. Mais il aimait aussi ses excentricités, marcher à côté d’elle dans ces rues lui donnait l’impression de vivre dans une chanson de Lou Reed.  Le pauvre petit gars savait bien que cette fille n’aimait ni les livres ni la politique, qu’elle écoutait à peu près tout ce que son algorithme youtube lui servait et perdait son temps sur des jeux qu’il trouvait stupide.

Mais, quand elle le regardait avec sa douceur de femme légèrement enfantine, quand son sourire illuminait son visage comme les notes de Bill Evans illuminent les somptueux chorus de Miles Davis, il lui semblait que toute vie loin d’elle serait le pire des châtiments.

La plupart des hommes n’ont sans doute ce genre de fièvre qu’après la première nuit d’amour, lorsque leur virilité satisfaite peut laisser place à des sentiments plus profonds. Mais François était un rêveur, un amoureux de l’amour, un idéaliste, le martyr de sentiments qu’il trainait souvent comme des boulets. Chez lui, le sentiment amoureux était plus destructeur qu’une crise de démence, plus angoissant qu’un saut du haut d’un gratte-ciel.

« It’s just a perfect day

I’m glad I spend it with you

Just a perfect day

You just keep me hangin on »

Et la chanson tournait dans sa tête démente, mantra pernicieux poussant ce pauvre niais vers son châtiment. Une fois le restaurant trouvé, il n’avait pas tant parlé que ça, lui dont la voix s’emportait souvent dans de grandes diatribes littéraires, culturelles ou politiques, le visage de son interlocutrice tissait un bâillon qu’il refusait d’ôter. Il se contenta donc de la regarder parler, mangeant ses lasagnes à une lenteur qui ne lui était elle non plus pas coutumière. C’est ainsi que la première marche de l’escalier qui le mena vers sa potence fut posée, d’une simple phrase lancée avec douceur par ce visage d’ange : « En fait tu es vachement dans le contrôle. »

Il ne comprenait que trop bien ce que cette phrase voulait dire, elle le renvoyait à son passé d’enfant timide et presque taciturne. Alors il avait fini par guider les échanges, introduisant les discussions et parvenant à suivre le flot de discussions qui sortaient largement de ses domaines de compétences.

« I’m just a gift from the women of this word »

Dans sa tête, Lou Reed chantait ainsi ce qui était devenu l’expression de ce qu’il prit pour un triomphe. Fier de lui, il était parti payer la note pendant que sa « jolie fleur dans une peau de vache » s’était éclipsée quelques instants. Elle parut apprécier le geste, elle ne savait pas que François se serait considéré comme un Jean Foutre si il avait agi autrement.

Ils avaient ensuite marché, trop selon elle, même si son sourire montrait une certaine joie d’être là. De son coté, alors qui méprisait jusque-là cette sous culture commerciale, François se surprit à lui dénicher des boutiques de mangas qu’elle-même ne connaissait pas. Notre rêveur fut finalement un peu déçu par son manque d’audace, il s’était tellement enivré de son propre amour qu’il n’avait osé tenter un premier baiser.

« The waiting is the hardest part

Every day you take one more card

You Take it on the face

You take it to the heart

The waiting is the hardest part »

Celle-ci était de Tom Petty, elle lui tortura l’esprit toute la nuit comme pour lui rappeler sa ridicule couardise. L’attente en question dura des jours qui lui parurent des années, mais le second rendez-vous vint enfin une semaine plus tard. Le pauvre petit gars savait bien qu’elle finissait à 16 h 30 et ne serait pas là à l’heure, mais son impatience l’avait amener au point de rendez-vous à 16h 10.

Il se mit donc à lire pour oublier les sentiments contradictoires qui le tourmentaient , mélange de pessimisme navrant et  d’enthousiasme idiot. Ecartelé entre ses pensées contradictoires , François ne parvint plus à lire lorsque sa montre indiqua 16 h 35. « The waiting is the hardest part… » Il commençait à connaitre la chanson mais elle ne lui fit que plus mal. Elle finit par arriver dix minutes plus tard, une cliente portugaise « trop sympa » l’avait forcé à dépasser ses horaires. Cette fin d’après-midi fut parfaite, il lui semblait que leurs mots n’étaient plus que des prétextes pour permettre à ces âmes qu’il croyait sœurs de s’admirer.

« Even the looser get lucky sometimes. »

Le souvenir des mots de Tom Petty ne le torturait plus, il avait l’impression de vivre l’étape la plus importante de sa vie, celle qui décide de tout ce qui viendra après. Il n’oubliera jamais son enthousiasme délicieusement enfantin devant un gâteau servi dans un salon de thé à la musique un peu chiante. « Si ils avaient mis du Jazz ç’aurait été encore mieux ». Sa réflexion lui avait valu un sourire amusé qui valait toutes les récompenses.

Il ne se souvenait plus de tout ce qu’ils avaient dit ce soir-là, mais il avait retenu chacun de ses gestes et chacune de ses expressions de visage. Même si il n’y avait trouvé qu’une certaine chaleur, là où il cherchait la preuve irréfutable d’un sentiment réciproque, il lui semblait qu’il ne s’était jamais senti aussi proche d’une personne n’appartenant pas à sa famille.

C’est sans doute pour cela que, au moment où le triste martyr parvint à raccompagner sa nymphe devant sa porte, à l’instant où elle était entrée le regardant derrière son entrée entrouverte, il avait été pris du même terrible trac qui ne le quittait presque plus depuis qu’il la connaissait.

Il lui fallait pourtant faire quelque chose, tenter un geste qui annoncerait au moins le passage à une étape supérieure. N’importe quel crétin aurait tenté de l’embrasser, même le plus lamentable des couillons se serait laissé attirer vers cet astre lumineux, mais pas lui.

Pensant qu’il était encore trop tôt, il prit sa main comme l’on prend une précieuse relique, avant de l’embrasser avec toute la douceur dont il était capable. Il avait ensuite dit « bonne soirée » avant de s’éloigner comme un voleur dans la nuit.

Dans les rues agitées de sa grande métropole, alors que les étudiants avaient fait place à une cour des miracles où se côtoyaient types louches, mendiants plus ou moins agressifs et couples se dépêchant de rejoindre leurs suites nuptiales , François entendait de nouveau les paroles de Lou Reed rythmer ses pas las.

« When you’re alone and lonely

In your midnight our

And you find that your soule

It has been up for sale

And your gettin to hate

Just about everything »

Ces paroles le blessaient encore comme des poignards, comme si il avait senti la gifle avec laquelle le destin le mettrait face à sa pusillanimité coupable. « Je le ferais au troisième » se dit il . Il n’y eut jamais de troisième. Les jours suivants, il peina à la revoir plus de 5 minutes, ce qui ne fit que renforcer ses mauvais pressentiments. Il finit par y parvenir, il savait que la salle de repas de son travail était vide le samedi midi et avait décidé de tirer les choses au clair ce jour-là. Ils s’assirent, elle marmonnait une mélodie avec une douceur qui lui donnait envie de mourir, les doutes de notre pauvre petit gars devinrent presque des certitudes. Il tenta pourtant de se lancer mais ne parvint d’abord qu’à tourner autour de son pot de douleurs.

Elle avait dit cette phrase d’un air distrait , la tête baissée sur sa cochonnerie de téléphone portable. François n’avait désormais plus aucun doute , mais il savait que la survie de son espoir ne ferait que prolonger son supplice , il fallait qu’il se jette dans le fossé pour espérer se relever. La voix de Keith Richards lui venait à l’esprit pour lui donner un peu de courage , lueur d’espoir dans son enfer sentimental. « I need your love to keep me happy ». Il monta donc la dernière marche de sa potence.

« I’m feeling so tired

I can sleep for thousand years

A thousand dream will awake me

Différent colours made of tears »

Pendant que le spleen Reedien prit la place du rock stonien , le petit gars s’était levé , ses mains tremblaient comme si il avait reçu un coup mortel. Cette voix qu’il croyait venue le récompenser de tous ses efforts , ce visage qu’il voyait comme la lumière au bout du tunnel , tout cela lui apparaissait désormais comme une monstrueuse humiliation, une preuve de sa bêtise et de son manque de maturité. Il n’eut même pas le courage de protester , pas la force de s’énerver , il prétexta une envie de lecture pour se sauver comme un enfant giflé par sa mère. Alors qu’il s’enferma dans les toilettes , soulageant sa douleur en cognant sur le mur , il entendait Jack White chanter « Apple blossom »

« Lots of girls walk around in tears

But that’s not for you

You’ve been looking all around for years

For someone to tell your troubles to »

Le soir, il jeta son sac par terre, ne put retenir le flot de larmes qu’il avait héroïquement gardé en lui tout l’après-midi, avant de se jeter sur un disque comme un naufragé sur sa bouée de sauvetage.

« You spend your time waiting for a moment that just dont come

Don’t loose your time waiting »

Bruce Springsteen referma ainsi la playlist la plus triste de sa vie , une ode au désespoir le plongeait pleinement dans sa douleur pour lui éviter d’y succomber. C’est aussi ça le rock, la dernière chose qui vous reste lorsque tout semble perdu. Bonne lecture.

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