Big big train : common ground

« Nous sommes en guerre. »

Qui se souvient de cette phrase stupide lancée par un homme soucieux de faire accepter ses dispositions liberticides ? Il y eut d’abord la préparation, décompte morbide des morts organisé avec la solennité d’un rite barbare. Nous n’avions alors aucun test, ce qui n’empêcha pas un fonctionnaire sinistre de nous lancer des chiffres invérifiables. A la télé et à la radio, dans les rues et au travail, pas un jour ne passa sans que monsieur moyen ne soit mis face à la fragilité de sa triste existence. Rendu fou par le décompte menaçant des décès, la masse se pressa de se réfugier dans les jupes de ses gouvernants, le fruit de la servitude était mur. Nos hommes d’état s’empressèrent de le cueillir, grignotant nos libertés avec l’appétit que montre ces nuisibles narcissiques dès qu’il s’agit d’augmenter leurs pouvoirs. Comme pour le transporter dans ces séries américaines dont l’homme moderne est friand, le gouvernement hygiéniste préféra parler de lockdown que de confinement.

C’est pour lui annoncer cet emprisonnement que le petit père de ce petit peuple lui dit « nous sommes en guerre », actant ainsi le début d’une campagne de propagande Orwelienne. Selon ce bourrage de crâne, le confiné n’était plus un lâche refusant de bouger de peur d’attraper la grippe , mais un héros « sauvant des vies » grâce à sa formidable paresse. Les autres étaient donc d’ignobles inconscients , des fous qu’il fallait châtier à coups d’amendes stratosphériques. Paradoxalement, la vie des derniers hommes sensés devint de plus en plus infernale à mesure que la main de l’autoritarisme sanitaire desserrait son étreinte sur la population. Plus qu’une série de mesures législatives , le dogme hygiéniste fut une morale qui eut vite ses inquisiteurs zélés. Les morts du covid étaient en majorité des obèses et des personnes de plus de 70 ans ? Cela n’empêcha pas les dirigeants d’imposer la vaccination pour tous. Les pass sanitaires furent ainsi vérifiés par des citoyens lambdas , le rôle de police fut étendu aux restaurateurs , organisateurs de concerts et autres événements.

Et puis il y eut le masque, artefact sacré qu’il fallait absolument porter sous peine d’être sermonné par n’importe quel Ramirez. Les derniers hommes libres voyaient donc leurs distraction surveillées par le patron, le cheminot, le restaurateur, tous ces curés modernes ne manquant pas de l’interpeller plus ou moins poliment si il laissait le funeste tissu passer sous son nez. Pour que la masse soit fière de sa veulerie égoïste, on écrivit ensuite un récit absurde qu’elle avala aisément. Selon ce récit digne de la Pravda, le monde s’était uni pour venir à bout d’une maladie meurtrière. Qu’importe que l’Angleterre ait obtenu son vaccin bien plus vite qu’une Union Européene s’imposant comme une réunion de Jean Foutre. Qu’importe également que cette « maladie meurtrière » ait précipité dans l’abime des gens souvent condamnés par leur grand âge où diverses autres maladies. Il est vrai que toute mort est un drame, mais demander un effort aux principaux concernés aurait sans doute évité l’avènement du monde absurde que nous avons connu.

C’est pourquoi le propos de Strangest time , le titre ouvrant ce Common ground , est gênant. Avec son ton léger et ses refrains héroïques, le morceau semble vouloir faire passer la mascarade du covid pour une glorieuse épopée moderne. La dureté des mesures sanitaires n’était pas , comme Strangest time le sous-entend , l’expression de la générosité d’une humanité enfin unie face au drame. Si monsieur moyen a accepté toutes ces restrictions, c’est avant tout parce qu’une propagande féroce exacerba sa peur de mourir. Il faut donc oublier les paroles pour apprécier le lyrisme lumineux de Strangest time. S’ouvrant sur un véritable feu d’artifice symphonique, le titre est porté par le crescendo irrésistible d’un orchestre brillant. Si l’on se concentre sur la théâtralité du chant, si l’on se laisse emporter par le martellement marquant du piano et la puissance cosmique des solos, alors Strangest time est l’un des plus grands morceaux écrits par Big big train.

La grande surprise vient ensuite de All the love we can give , tube où le chant convoque le fantôme de David Bowie. L’auditeur pense notamment au prêtre possédé de The next day , surtout quand ce crescendo spatial culmine en un point d’orgue où voix et guitare rivalisent de lyrisme mystique. Dans le même style lumineux, le plus mélancolique Common ground se révèle être le titre le plus faible de l’album. Ressassant le vieil idéal sans frontiériste des hippies , le morceau se montre aussi mou et culcul que l’utopie qu’il défend. L’amateur de rock symphonique plus nerveux peut se consoler en écoutant en boucle Black with ink , fresque lumineuse portée par une succession de performances vocales hallucinantes. Vient ensuite le déchainement classique rock d’un groupe évoquant les grands espaces peints par Roger Dean.

Avec son introduction, où les arpèges ont l’émouvante douceur d’une harpe, le grand grand train se plie magnifiquement à l’exercice de la grande ballade pop baroque. Un violon plus commun et le retour de chœurs planants achèvent de célébrer ce mélange de complexité et de beauté universelle qui qualifie si bien le rock anglais. Le court intermède Headwater ouvre ensuite la voie à Appolo , qui voit le grand grand train se soumettre à un autre exercice incontournable du rock progressif : l’instrumental alambiqué où chacun défend son rang de virtuose. Servant de fil conducteur de cette longue fresque, les cuivres martiaux offrent au titre une splendeur mélodieuse, qui lui évite de voir les néophytes fuir devant sa complexité. Vient ensuite Atlantic cable , véritable épopée musicale de 15 minutes portée par un clavier étonnement proche de celui de Keith Emerson. Véritable éruption space rock , ce bouillonnement conserve la gaieté du reste de l’album, mais l’exprime avec une guitare plus fiévreuse.

L’explosion introductive débouche sur une mélodie beaucoup  plus apaisée, point de départ d’un majestueux décollage. Les musiciens se laissent ainsi emporter par leurs propres notes, crée des big bangs cuivrés ou symphoniques engendrant des univers éblouissants. Big big train a finalement trouvé ici sa nouvelle incarnation, à mi chemin entre l’ambition froide d’Emerson Lake and Palmer et la beauté spatiale de Pink floyd , le tout rehaussé par un orchestre toujours enraciné dans le monde de Genesis. Si il est difficile de ne pas voir une acceptation, voir une célébration, de l’absurdité ovidienne dans certains de ses textes , Comon ground n’en demeure pas moins une réussite musicale indéniable. Finalement, ce disque est une œuvre belle comme une fleur poussant sur un tas de fumier.        

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