The Rolling stones : exile on main street

Il a existé une époque où la France n’était pas un état soviétique massacrant les braves pour permettre à monsieur moyen d’avoir son restaurant hebdomadaire, son abonnement netflix et ses chèques énergie et restauration. Au début des seventies, la France était encore suffisamment saine pour passer pour un paradis fiscal. L’impôt n’est bon que s’il n’est pas égalitariste, il doit prendre en compte les différences d’intelligence et de courage qui ont toujours différencié les hommes. Comme l’expliqua très bien Charles Maurras , une société cherchant à abattre toute forme d’inégalité est une société qui se suicide. Les régimes soviétiques furent plus cruellement affaiblis par leurs incapacités à produire ou conserver leurs élites que par les manœuvres américaines. Le faible ou l’idiot ne peut survivre que dans un système où des protecteurs puissants lui donne un emploi et donc la prospérité. Si les classes supérieures se sentent trop harcelées, elles fuient et condamnent ainsi le peuple à une décadence plus ou moins rapide.

Au-delà des dégâts économiques d’une politique trop égalitaire , celle-ci entraine souvent la décadence intellectuelle du pays qu’elle détruit. Détourné de l’effort par un système lui assurant une relative aisance matérielle, l’homme finit par ne plus lire de grands livres et ne plus écouter de musique. Il est devenu un animal se contentant du bien être apporté par le plein de son estomac et la vidange de ses intestins. Une masse graisseuse s’accumulent alors autour de son cerveau, étau fait de toutes les idioties qu’il s’envoie pour tuer son ennui. Alors les véritables artistes finissent eux aussi par fuir ce pays ayant perdu son génie, quittent cette terre qui les fit grandir mais qu’ils ne reconnaissent plus. C’est ainsi que les Stones partirent en France pour protéger leurs royalties de la cupidité de la fiscalité anglaise. Situé au Cap Ferra , Villa Nelcote était le château qui convint le mieux à de tels seigneurs. Le plafond était porté par des colonnes de marbre à une hauteur de 4 mètres , les murs étincelants donnaient l’impression de vivre la vie de Louis XIV, la fenêtre laissait voir un paysage prouvant que la France est bien le plus beau pays du monde. Mick préféra pourtant s’éloigner de ce palais de débauchés, sa fiancée attendait un enfant et il ne pouvait donc plus se livrer à de tels excès.

La journée, Keith et Bobby Keys se défonçaient, jouaient au poker, emmenaient leur bateau près des côtes italiennes. Quand le soleil se couchait, les musiciens descendaient jusqu’au sous-sol de la villa , pour enregistrer jusqu’au petit matin. Irrité par la corde la plus aiguë de sa guitare , Keith finit par l’enlever tout en conservant son accordage en open tuning. Cette découverte apporta avec elle un nouveau monde sonore, une nouvelle énergie qui permit au guitariste de faire de ses improvisations de grands moments de rock n roll. Enfermés dans leur bunker doré, les Stones étaient comme des prêtres attendant l’illumination divine, leurs improvisations furent des prières accouchant de petits miracles blues rock. Exile on main street voit les Stones revenir dans la même caverne blues gospel rock  pour en extraire les derniers diamants. Exile, c’est aussi et d’abord un son brut, presque brouillon, une simplicité donnant l’impression d’entendre un vieux disque de delta blues. Si ce disque est double, c’est que les Stones devaient sentir qu’ils n’atteindraient plus jamais les mêmes sommets, que leur grande époque créative était sur le point de s’achever. La plupart de ces titres furent enregistrés dans l’urgence, comme si la muse du groupe se préparait déjà à les quitter.

Keith arrivait donc avec un riff, Charlie Watts le suivait à la batterie et Mick bouchait les trous. Deux titres par jour sortirent ainsi de cette usine à swing, des titres qui allaient faire partie des totems sacrés du répertoire stonien. Alors que l’attente des autres musiciens commençaient à l’ennuyer, Keith proposa au saxophoniste Bobby Keys et au batteur Jimmy Miller de jouer avec lui un titre qu’il avait écrit la veille. Rock orgiaque illuminé par des cuivres grandiloquents, Happy fut ainsi mis en boite en seulement quatre heures. D’autres titres vinrent plus difficilement, comme ce Tumbling dice que Keith n’aime toujours pas jouer sur scène. Aujourd’hui encore, alors que le lyrisme du gospel et l’énergie du boogie blues y cohabitent dans une rare harmonie, le guitariste considère toujours Tumbling dice comme un titre inachevé. Exile réalise le rêve que les Who ont si rarement rendu réel, c’est-à-dire doter un enregistrement studio de l’énergie qu’ils déployaient en concert. Rock s off est une fanfare jazz blues rock n’ayant rien à envier au mythique Live at regall de BB king , Loving cup sonne comme ces chorales possédées qui déclenchèrent la vocation musicale d’Elvis, All down the line donne une vision plus nerveuse du rock n roll des pionniers. Puis il y’a les titres plus « secondaires » , swing apparemment anecdotique suffisant à écraser toute concurrence. La bluette gospel rock Loving cup a des airs de fresque mystique, une histoire de ventilateur en panne swing comme un blues de Son House, Shake your hips est doté d’un riff nonchalant inoubliable. En cherchant à sauver leur patrimoine, les Stones ont aussi sauvé leur génie. Réfugiés dans le calme d’une France prospère, ils signent avec Exile on main street un de leurs albums les plus fascinants.       

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