The rolling stones : a bigger band

La vie d’un homme n’a de valeur que si elle est une lutte sans trêve contre ses propres faiblesses. Il faut toujours se haïr un peu pour avancer, combattre ses travers pour se garder de la cruauté humaine. Les rockers furent admirables pour ça, leur musique leur permettait toutes les conquêtes et leur autorisait tous les outrages. « La morale est la force des faibles » disait Nietzsche , le rock fut donc merveilleusement immoral. Tous les hommes ne se valent pas, la vie est une course constante où les derniers sont condamnés à toutes les misères pendant que les premiers récoltent tous les honneurs. C’est ainsi que, après avoir passé des années à persécuter son groupe, le gouvernement britannique décida d’anoblir Mick Jagger. Keith ne comprit pas que le chanteur accepte les honneurs de ceux qui faillirent tuer les Stones. Cet événement pouvait pourtant être vu comme la revanche de ceux qui furent longtemps traités comme des parias, le gouvernement britannique en venait à embrasser celui qu’il avait tant détesté. Le chanteur, comme nombre d’hommes mûrs, courait surtout après une certaine forme de reconnaissance. Keith ne comprit que trop que cette série d’honneurs offerte aux rockers n’était qu’une façon de vider cette musique de sa substance révolutionnaire.

Il n’était de toute façon plus possible que ce swing cinquantenaire écouté par quelques enfants sages en compagnie de leurs parents ne représente une quelconque révolte. Le rock n’avait plus d’âge, la grandeur de ses œuvres réunissait les générations autour d’une culture commune. Les musiciens eux mêmes avaient mûri, ils affichaient désormais la sérénité de combattants revenus de tout. Leur orgueil s’était dégonflé, ils étaient revenus de leurs addictions le corps régénéré et l’âme grandi. De l’aveu même de Keith Richards, l’ennoblissement de Mick l’avait rendu plus fréquentable. Comme si le chanteur avait, face au prince Charles, prit conscience que son parcours touchait à sa fin et qu’il était urgent d’en savourer les derniers instants. Alors, les glimmers twins se remirent à travailler comme au bon vieux temps, face à face et mêlant leurs inspirations. Cette complicité retrouvée était sans doute également dûe à l’annonce du cancer de Charlie Watts, triste nouvelle rendant toutes les querelles futiles. Se sentant au bord de l’abime , les Stones conjurèrent leurs angoisses dans le rock n roll. A bigger band n’est pas un classique, loin de là, mais il mit fin à des années d’errances artistiques. A lui seul , My sweet neo con est un petit miracle , un mojo redonnant au blues l’odeur du souffre. Harmonica et guitares réaniment le swing de Chicago, Mick monte sur ce piédestal pour asséner ses diatribes vengeresses.

« You call yourself a christian

I think you’re an hypocrite

You say you’re a patriot

I think that youre a crock of shit »

Après les drames subis par les Irakiens et à l’heure où ces neo cons font semblant de défendre un pays qu’ils ont poussé vers la guerre, cette chanson trouve une raisonnance particulière. A l’image de cette charge magnifique, A bigger band montre des Stones débarrassés de leurs doutes et de leurs démons. Ils sont devenus de vieux bluesmen, des symboles rassurants dans un monde perturbé. Certains considèrent que ce swing est devenu un peu redondant, que les titres se ressemblent trop pour ne pas lasser. Sans doute regrettent-ils la période psychédélique du groupe, parenthèse enchantée mais trop éphémère pour symboliser la musique des Stones. Le blues est la version musicale du mythe de Sissyphe. Dans la mythologie grec , Sissyphe fut condamné à pousser un rocher jusqu’à atteindre le sommet d’une montagne. N’ayant assez de force pour parcourir cette route d’une traite, ce supplicié finissait toujours par laisser le rocher revenir à son point de départ. Ce qui est magnifique chez cet homme, c’est son entêtement à se battre en sachant qu’il n’atteindra jamais son objectif, comme si l’acharnement qu’il mettait à combattre ce châtiment absurde suffisait à justifier ses efforts.

Le blues n’est rien d’autre que le cri de l’homme face à l’absurdité de l’existence, et sa redondance ne fait que symboliser cette absurdité. Pour cela, le bluesman se contente de quelques accords, qu’il répète tel Sissyphe poussant son rocher. Parfois il varie un peu le rythme de ses enchainements, mais il sait que son peu d’originalité suffit à mettre le monde à genoux. Tirant les leçons de leurs ainés, les Stones étirent ou accélèrent leur swing originel, jouent avec en prenant soin de ne pas le brusquer. Mid tempo classieux, chevauchée épique sur les terres de sa majesté blues, ballade attachante où brille de nouveau l’authenticité de Keith Richards, A bigger band est un très bon cru stonien. Plus anecdotique, le disque de reprises Blues and Lonesome s’imposera ensuite comme la conclusion logique de ce retour aux sources. Aujourd’hui, le monde fait semblant d’attendre la sortie d’un nouveau disque repoussé par la disparition de Charlie Watts. Au fond, tous savent qu’il n’y a pas grand-chose à attendre d’un tel album, que ces musiciens sont lessivés depuis des années.

Ces hommes ont plus donné à la musique que la plupart des artistes modernes, personne ne peut leur reprocher de désormais vivre de leurs rentes. Tant qu’ils seront debout, tant que les Stones feront vibrer les stades du monde entier, tous se rappelleront à quel point le rock a été grand.    

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