Big big train : English boy wonder

Les synthétiseurs sifflent comme les superbes créatures d’un monde perdu,  le guitariste joue les mélodies d’un peuple oublié. En 1995, le traditionalisme progressif ressemblait encore à un champ de ruines, un village oublié dont on visitait les grandes cathédrales avec nostalgie. Ces cathédrales, les vétérans d’IQ ou Marillion parvenaient parfois à leur redonner leur lustre d’antan. Mais les fidèles étaient partie ailleurs. Les années 90 furent marquées par l’avènement d’une vision plus brutale et sombre de la virtuosité rock. Chef de file de cette invasion,  Dream theater fut un des rares groupes de metal parvenant à gommer la frontière séparant la sauvagerie métallique et le swing rock. John Petrucci est un brillant alchimiste, un mage capable de donner à ses riffs acérés la légèreté des nuages floydiens. Du côté du chant,  James Labrie est le fils spirituel de Robert Plant et Jon Anderson.   

Porté par cette double influence, notre druide déclame des textes sonnant comme des incantations nous téléportant dans un autre monde. Aussi brillant soit-il , Dream theater était porteur d’une violence aliénante. Hypnotisé par les sensations fortes proposées par la sanguinaire horde prog métallique, le public rock eut bien du mal à revenir vers un univers plus nuancé. Passé un certain seuil, la violence sonore devient une drogue sournoise. Tel un junkie cherchant sa dose, les hordes métalliques deviennent souvent des loques à la recherche de sensations toujours plus extrêmes et futiles. Ce triomphe de l’extrémisme explique la naissance chaotique de ce English boy wonder. Tétanisé par ses grandes ambitions, Big big train prit deux ans pour enregistrer les quatre premiers morceaux de l’album. Ce délai fut d’autant plus long que, rejeté par un business cherchant à surfer sur la vague du métal, le groupe dut financer lui-même ses sessions.

Les finances d’une jeune formation n’étant pas infinies, le groupe se trouva obligé de sortir une première version inachevée en 1997. Malheureusement pour lui , Dream theater était alors en plein âge d’or , Image and word faisant place à un Awake aussi puissant et charmeur. Le feu d’artifice du groupe de James Labrie atteindra son sommet pyrotechnique avec Metropolis part 2 , grand opéra rock achevant d’inscrire son nom dans la légende. Profitant de l’influence floydienne de ce théatre des rêves, Spock beard et Flower kings parvinrent à imposer une autre vision de l’héritage floydien. Mis de côté par la maturité de ces musiciens exceptionnels , Big big train ne put livrer la version définitive de son English boy wonder qu’après le succès de son quatrième album. Suivant le déroulé voulu par le groupe, nous considérerons tout de même la version finale comme le véritable second album de Big big train.

Ce qui frappe l’oreille, c’est d’abord ce fond sonore rêveur rappelant les grandes heures de King crimson. Après la modernité spectaculaire du premier album, English boy wonder enracine de nouveau Big big train dans l’univers merveilleux du rock seventies.  On retrouve ainsi l’influence genesienne dans le romantisme de ces textes évoquant une relation vouée à l’échec. Les instruments s’emportent comme un cœur passionné, avant de s’apaiser dans de grandes rêveries méditatives. Du haut de leur dizaine de minutes, Albion perfide et Searching for John Dowland réussisent l’exploit d’évoquer le romantisme épique de Supper’s ready sans tomber dans la caricature nostalgique. Si il fallait définir son univers, on pourrait dire que ce grand grand train circule sur un pont reliant le royaume de sa majesté cramoisie aux terres du souverain Peter Gabriel. Les nuages cotonneux produits par le clavier limitent ainsi les ardeurs d’un guitariste maniant ses mélodies comme de fragiles colombes.

Cette modération lumineuse, le groupe la défend ici contre tous les courants commerciaux. Il devient ainsi le nouveau gardien de cette classieuse extravagance, qui permit aux musiciens anglais de se faire une place à côté des puristes américains. Si les minutes glorieuses d’Albion perfide sortent un peu du lot, il leur manque ce petit plus qui différencie le bon moment du tube inoubliable. Sans atteindre le sommet de son art , English boy wonder permet à Big big train de marquer son territoire de fort belle façon. Pour entrer définitivement dans l’histoire, il lui faut désormais bâtir un monument digne de son potentiel.         

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