Johnny Cash : 22 At San Quentin

En 1969 , le succès du live at Folsom prison fut dans toutes les mémoires. L’Amérique est tombée amoureuse de cet homme aux textes subversifs, a salué la générosité de ce chanteur apportant un peu de joie aux damnés des pénitenciers. En haut lieu, cet engouement attira l’attention d’hommes aux préoccupations plus triviales. C’est ainsi que Cash fut approché par les responsables d’une chaine de télévision, qui souhaitaient diffuser un autre concert dans une prison. Les responsables de la chaine affirmèrent qu’un tel événement serait suivit par des milliers d’américains,  ce qui offrirait une formidable publicité à sa musique. Ce qui intéressait surtout ces hommes en costard, c’était d’attirer un maximum de monde devant les publicités diffusées avant et après ce genre d’événement. D’un autre côté , un tel concert permettrait une nouvelle fois d’apporter un peu de joie à des hommes qui en ont bien peu , tout en donnant à Cash un moyen de défendre l’Alamo de la tradition musicale face aux assauts des modernistes.

Cash se retrouva donc face à la porte d’une autre prison, plus rouillée que celle de Folssom. Saint Quentin est le plus vieux pénitencier de Californie, une légende raconte qu’une chaise électrique encore utilisable trône au fond d’un de ses couloirs. La porte s’ouvrit dans un fracas intimidant, Cash pensa qu’on ne s’habitue jamais à ce genre d’endroit. Ces murs semblent avoir absorbé les tourments des condamnés comme de funestes éponges, pour les laisser se diffuser progressivement, afin de donner au visiteur un malaise perturbant. Cette fois, les gardiens semblaient calmes, la présence des caméras sembla les rassurer. Pour Cash, cette présence fut surtout une source de tension. Les concert de notre countryman sont de grandes communions avec le public , il faut laisser de la place à la spontanéité pour que la magie prenne.

Alors, quand il vit ces cochonneries de caméra qui l’empêchaient de voir son public, l’homme en noir eut ce geste devenu légendaire. Les responsables de la chaines sursautèrent, Cash venait de commencer sa prestation en adressant un doigt d’honneur à des milliers de téléspectateurs. Il régna tout au long de ce concert une tension que l’on peut attribuer à l’agacement du chanteur et à l’enthousiasme de ceux qui l’écoutent. Conquis dès les premières notes, acclamant le refrain de Wanted man , Wreck on old 97 et Walk the line , l’assistance fut aussi survoltée qu’à Folsom. Privé du feeling rugueux de Luther Perkins , Johnny Cash s’offrit les services de son prestigieux frère Carl. Son jeu plus nerveux fit des trois titres d’ouverture un pur moment de rock n roll, il développa un swing sauvage et tranchant illustrant bien la révolte d’un chanteur peu disposé à jouer les phénomènes de foire. Comme pour affirmer son indépendance, Cash redit tout le mal qu’il pensait des équipes de télévision à la fin de Walk the line , avant de déclarer aux prisonniers « ce soir je joue pour vous les gars ».

Puis, entre les riffs révoltés de Walk the line et Folsom prison blues , Carl Perkins prit le temps de faire résonner ses notes comme un hommage à son frère disparu. Soutenu par ce feeling métronomique, Cash reçut de nouvelles acclamations lorsqu’il raconta le destin des prisonniers de Starkville city , pour finir par déclencher des cris d’ovation à chaque refrain de San Quentin. Quand l’homme en noir chante «  San Quentin may you root and burn in hell » , il n’annonce pas le grand soir , il montre juste une compassion dont ces hommes sont cruellement privés. C’est une ambiance différente de celle de Folsom que l’on ressentit ce soir-là à San Quentin. Cash ne jouait plus seulement par charité chrétienne, mais pour défendre sa liberté face à une industrie prête à vendre ses albums comme on vend des bidons de lessive.

Une fois encore, la foule emprisonnée l’accepta comme un de ses semblables, le regard froid des caméras n’empêcha pas ces hommes de communier avec leur bienfaiteur. La musique n’était pas exactement la même qu’à Folsom , mais la magie des grands concerts fut bien au rendez-vous.  

      

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