Johnny Cash 29 :På Österåker

Revoilà Cash face à la porte d’un pénitencier, avec cette impression que sa dernière visite dans un de ces mouroirs datait d’hier. Les souvenirs de Folsom et San Quentin furent encore vivaces quand s’ouvrirent les portes de cette prison suédoise, les sentiments qu’il ressentit ne furent pourtant pas les mêmes. Il remarqua à peine ce grincement de porte qui lui dressa le poil quelques années plus tôt. Il avait désormais la réponse à cette question qui le tarauda quand il entra dans ce genre de bâtiment pour la première fois : comment peut-on s’habituer à ça ? Et bien il suffit de le vivre assez longtemps pour que la chose vous soit familière. La prison est comme la douleur ou la solitude, elle ne tourmente que ceux qui ne la connurent pas assez. Certes, Cash ne fut qu’une récréation pour les détenus, son enfermement ne dépassa pas la durée de son concert. Il fut tout de même surpris de constater à quelle vitesse ce sentiment de légitime malaise face au malheur des autres s’éteint progressivement , comme une bougie sous le souffle défaillant d’un vieillard.

Au fond, il n’y a pas que ses états d’âme qui avaient changé, sa situation n’était elle aussi plus la même. Ce que les gaillards de Folsom et San Quentin applaudirent, ce fut un jeune homme revenu des limbes, un renégat placé en garde à vue pour détention de drogue. Cash choquait la bonne société, Cash vivait selon ses propres lois et en payait le prix, Cash était des leurs. Celui qui se présenta devant les prisonniers suédois n’était plus cet homme-là. Son ventre rebondi trahissait une réussite qui, si elle n’avait rien de honteuse, l’empêchait désormais de se faire passer pour un camarade de cellule. Le groupe qui l’accompagnait avait lui aussi changé, quelques spectateurs présents ce soir-là regrettèrent d’ailleurs de ne pas entendre le swing inimitable de Luther Perkins. Pour éviter de remplacer l’irremplaçable, Cash a recruté Bob Woton pour épauler le grand Carl Perkins. Comme un symbole de l’embourgeoisement de l’homme en noir, Woton déploie des riffs apaisés à mille lieues des doom doom doom frénétiques de son prédécesseur.

Cash présente pourtant de nouveaux titres toujours aussi durs, la majorité parlant de la violence subie par ceux qui finissent en prison. Le chanteur a pris du recul vis-à-vis de ses personnages, il exprime désormais leurs sentiments sans les vivre. Ce recul n’empêche pas la compassion, l’homme en noir sublimant si bien ce sentiment de sa voix de père attentif. Ce ton paternel est particulièrement juste lorsqu’il raconte le sort de Jacob Green, qui se suicida car il ne supportait pas la honte d’être emprisonné pour détention de drogue. Violons et guitares endeuillées se joignent alors au chant paternaliste pour crier la tristesse d’une famille et sa pensée profonde : Nous l’aurions pardonné.

Vient ensuite une des plus grandes chansons américaines de tous les temps, Me and Bobby Mc Guee. Symbole de la solitude d’une femme adulée par tous mais aimée de personne, ce titre trouve ici une expression n’ayant rien à envier à la performance spectaculaire de la grande Janis. L’interprétation de Cash est plus en retenue, sa voix préfère souligner les mots plutôt que de les marteler. Résultat, la phrase « freedom is another word for nothing left to loose » n’a jamais été aussi émouvante qu’ici. L’énergie sauvage du Live at Folsom peut bien disparaitre si elle fait place à une maturité aussi poignante. Cash n’est désormais plus comme ces hommes pour lesquels il chante mais il les comprend. C’est pour cela qu’il peut déclamer un sombre poème écrit par des prisonniers sans passer pour un cuistre, pour cela que ses mots apportent la plus réconfortante des douceurs lorsqu’ils sont mariés au piano de The invertebrae. Puis, comme il ne joua pas pour un enterrement, Cash finit par abandonner son folk endeuillé, pour donner à ses auditeurs leur dose de rocks du bagne.

Carl Perkins met alors son swing country sur les rails incandescents du pur rock n roll et la foule exulte en entendant ses poum tchicka boum capable de réveiller les morts. Une fois cette récréation passée, Life of a prisonner confirme le rôle que joua le chanteur ce soir-là , celui du père comprenant enfin son indigne descendance. De la compassion, voilà tout ce qu’il eut à offrir, ce qui fut déjà beaucoup. Compassion dans les ballades les plus émouvantes comme dans les rock n roll et les country faussement festives de Lookin back in anger et Nobody cared, une compassion qui donna une force incroyable à chaque mot et à chaque note. En fin de concert, le groupe improvisa sur un thème rappelant Walk the line , comme pour souligner que, ce soir-là, Cash dit adieu à ce passé.

Malgré son nom imprononçable, ce live enregistré dans une prison suédoise est un épisode aussi glorieux que ses deux prestations en Amérique. Son pays fut d’ailleurs si hypnotisé par les chefs-d’œuvre d’un rock flamboyant qu’il se montra incapable d’apprécier une musique aussi magnifiquement simple à sa juste valeur. Il fut sans doute trop habitué au vacarme tapageur du rock de ces tonitruantes seventies. Voilà encore une preuve que les habitudes ne sont que de tristes aliénations.             

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