Mais qu’ont ils tous à hurler à la mort, miauler et gémir ? Après la disparition de Kurt Cobain , les derniers barbares grunges continuèrent de gueuler comme des putois. Le grunge fut en grande partie un rock contaminé par la vulgarité tonitruante du heavy metal. Le mojo rock étouffa dans ce brouhaha heavy , fut déchiqueté par ces guitares pachydermiques. Certes, des groupes comme Nirvana et Alice in Chains avaient un vrai talent d’écriture, mais ce talent ne sauta aux yeux que lorsqu’ils enregistrèrent leurs albums acoustiques. Une bonne chanson n’a pas besoin d’une amplification démesurée , sa beauté trouve d’elle-même le chemin menant au cœur de l’auditeur. Et que dire de ces groupes à la production outrageusement léchée, ces cuistres arrondissant leur son comme si la moindre note trop appuyée risquait de blesser l’auditeur. Tom Petty et ses Heartbreakers sont un peu tombés dans ce piège sur Into the great wide open. Jeff Lyne leur avait offert une production trop grandiloquente, il avait étouffé l’énergie Byrdsienne de ces briseurs de cœur au profit d’une pop plus tubesque.
Les Heartbreakers ne furent pourtant jamais aussi bon que lorsqu’ils se débarrassaient de ces artifices. C’est d’ailleurs pour cette raison que, lorsqu’il voulut étoffer un peu le son de ses morceaux, Johnny Cash s’entoura du groupe de Tom Petty. Unchained est un album à part dans la série des American recordings , la douce nostalgie du premier volet faisant ici place à un rock n roll charmeur et orgiaque. L’affaire commence avec Rowboat , tendre ballade country rappelant le Cash de Orange blossom special. On sent toutefois, dans ces notes aussi gracieuses que des bulles de savon, la patte des Heartbreakers. Cash redonne à ces gamins plus si jeunes que ça l’énergie de leurs débuts, les ramène à l’époque où ils jouaient pour le plaisir de jouer. Cette insouciance les fait presque sonner comme le Crazy horse de Neil Young sur les passages les plus tendus de ce Rowboat. Vient ensuite Sea of heartbreak , douce ballade folk rock où Tom Petty a l’honneur de mêler son chant à celui de l’homme en noir.
C’est un spectaculaire partage entre deux générations qui se met en place, le feeling moderne des Heartbreakers donnant un coup de jeune à la musique traditionaliste du père Cash. En échange de ce bain de jouvence, Cash rappelle à ces jeunes gens égarés d’où ils viennent, leur redonne foi en leur héritage culturel. Pour leur montrer que rien ne vaut le mojo originel , il lave le swing fangeux de Rusty cage dans les eaux du Mississipi. Le hurlement lamentable de Soundgarden devient alors une charge héroïque, un blues invoquant les âmes de tous les grands pionniers de Chicago. Sur un riff à faire rougir Muddy Waters, Cash lance ses mots sonnants comme des incantations voodoo. Il ne chante pas le blues , c’est le blues qui s’exprime à travers son chant. Revenir à l’essence de la musique américaine, voilà l’objectif sacré que se fixe Cash sur Unchained. Alors ses musiciens redeviennent les jeunes rockers qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être , jouent avec la bouleversante simplicité de gamins improvisant dans leur garage.
Sur Country boy , le groupe de Tom Petty déploie une énergie rockabilly digne des Stray cats. Quand le tempo s’apaise, le vieil homme qui les dirige retrouve la douceur acoustique du premier volet de ses American recordings. Sa simplicité souligne le charme poétique de Memories are made of this , rend enfin justice au charme bucolique de Southern accent. Sur le bien nommé Spiritual, il lui suffit de quelques notes pour bouleverser les âmes les plus primaires. Comme l’homme en noir le disait lui-même à l’époque « si les maquettes sont bonnes, on met les maquettes sur l’album ». La magie de la musique américaine a besoin de cette simplicité, il ne faut pas l’étouffer sous des nappes d’effets sonores inutiles.
En cette année 1996, Cash rappela à une jeunesse prétentieuse qu’elle ne pourra jamais inventer de musique plus profonde que celle qui plonge ses racines dans le sol fertile du blues, de la folk et de la country.
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