Johnny Cash : American recordings

Rick Rubin disposa son matériel dans le salon de Johnny Cash, qui prit sa guitare sèche pour jouer quelques titres qu’il avait choisi. Au programme, un titre de Kris Kristoferson , de Leonard Cohen , quelques ballades de sa plume et une reprise du musicien electro Danzig. L’agitation des studio n’aurait pas permis à ces titres de résonner avec autant de force , on ne communie pas dans un laboratoire. Le génie de Rick Rubin réside dans le fait qu’il parvient à donner à Cash le rôle de patriarche qu’il cherchait depuis longtemps. Dès la pochette de ce premier American recording , Cash ressemble à un vieux pasteur prêt à guider ses brebis égarées sur le chemin de la rédemption. Dans les périodes où le ciel s’assombrit, où l’avenir devient incertain et les lendemains risquent de déchanter, l’homme revient vers ses vieux héros comme un enfant perdu revient vers son père. Cet American recording n’est pourtant pas une vulgaire tentative de profiter des angoisses d’un public désenchanté, bien au contraire.

Cash s’isola dans son salon comme dans une grotte, Rick Rubin se contenta de faire en sorte que les micros captent parfaitement l’écho de ses notes. Ce n’était plus vraiment de la country et c’était bien plus que du folk. Ce qui frappe d’abord sur ce premier American recording , c’est la solennité qui se dégage de ce feeling lumineux. Cette sérénité transforme Thirteen , titre electro rock torturé écrit par Danzig , en blues/folk mystique digne de Blind Lemon Jefferson. Le public avait quitté un homme devenu une caricature de lui-même, il retrouve ici un vieux sage touché par la grâce. Avec le temps, ses convictions religieuses se sont renforcées. Ses croyances illuminent chaque refrain, donnent à ses mélodies une solennité inédite.

« La mélancolie est la joie des gens tristes » Je cite souvent cette phrase de Victor Hugo tant elle qualifie bien l’artiste dans ce qu’il a de plus noble. Ce premier American recording n’est pas vraiment un album de deuil, c’est le disque d’un homme voulant encore profiter de ses derniers instants de gloire. La mort rôde , Cash ne manquant pas de la saluer à travers les vers de Delia’s gone , poignante ode à l’amour perdu. Cash ne se fait pas d’illusions, il sent que sa vieille carcasse ne survivra pas des décennies, mais l’abime parait encore assez lointain pour profiter un peu du temps qui reste. Alors, l’homme en noir rêve de reprendre la route sur Let the train blow the whisle , une nouvelle génération attend désormais ses chants réconfortants. Au détour d’un refrain, le vieux sage annonce à cette nouvelle génération le but qu’elle doit atteindre « no regret , all my debt will be paid when I get laid ». Moralité de cette sentence : l’homme honnête ne craint pas la mort.

Drive on permet à Cash de nous conter une nouvelle histoire d’homme parcourant les routes. Cet homme errant sans but, ce « sauvage » vivant au jour le jour, c’est le jeune homme qu’il fut et dont il parle avec la tendresse de celui qui a survécu à ses excès. C’est également ce jeune homme blessé qui se lamente sur Why me lord , cri de désespoir mystique que n’auraient pas renié les premiers bluesmen. Cette musique est mystique sans être prosélyte, solennelle et tragique sans devenir larmoyante. Quand Cash ressort l’image du prisonnier sur Thirteen , il n’a plus la révolte agressive et provocatrice qui fit la grandeur de Folsom prison blues . Ses grandes luttes sont depuis longtemps derrière lui, la colère de ses jeunes années est apaisée. Il ne parle plus de révolte mais de rédemption, il a vaincu son angoisse existentielle grâce à la religion. Le vertige de l’homme face à la mort peut avoir différents remèdes, certains le trouvent dans l’alcool, d’autres dans la musique. Cash le trouva dans la bible, texte qu’il ne cessa de lire lorsqu’il arriva au crépuscule de son existence.

Il ne faut donc pas s’étonner de l’entendre décrire la « bête en lui » , de l’écouter parler de rédemption et de le voir répéter ses Lord et Jesus comme pour remercier son dieu de lui offrir quelques heures de plus. Conscient de la grandeur de ses sentiments, la voix de l’homme en noir se fait plus grave que jamais , quelques notes discrètes suffisant à souligner sa solennité. Ce n’est plus l’auteur de Walk the line , c’est un musicien qui semble revenir d’outre-tombe pour rappeler à quel point la musique peut être grandiose , quand elle parle aux cœurs et aux âmes. Si il est trop jeune pour avoir créé le mythe qu’est désormais Johnny Cash , Rick Rubin lui permit de se réincarner sous les traits d’un fascinant troubadour en quête d’absolu.

Et , si ce premier album atteint des sommets que la musique moderne ne côtoie que rarement , il n’en reste pas moins une mise en bouche avant le festin lyrico mystique que constitue les albums suivants.           

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