Ty Segall : three bells

Il était le grand heros du rock n roll , le John Lennon des années 90 , ultime empereur du business rock. L’art servit souvent à exprimer les turpitudes d’une génération, les espoirs et les tourments d’une époque. La France napoléonienne  fut dépeinte par Chateaubriand, celle de la révolution industrielle moquée par la plume acide de Leon Bloy ou immortalisée par le misérabilisme de Zola, l’âge d’or de l’Amérique accoucha des génies d’Orson Wells et de Duke Ellington. Les années 60 à 90 eurent John Lennon, Bob Dylan, Bruce Springsteen et Kurt Cobain. Peur du désastre atomique et rejet de l’engagement militaire , désespoir économique et ennui insupportable , chaque génération accoucha d’un musicien hurlant ses angoisses à la face du monde, quand ce ne fut pas sa joie ou sa révolte. Les musiciens populaires furent ainsi un bon baromètre pour mesurer le niveau de bonheur et de culture d’une génération. Celle d’Elvis fut conquérante mais primaire, pleine de vie mais foncièrement égoïste. Son pays fut plus riche que jamais, la paix s’annonçait fragile mais durable, il semblait donc urgent de profiter de cet oasis de joie au milieu des tourments tragiques de l’histoire. Portées par le génie d’un John Lennon, les préoccupations de la génération suivante furent plus politiques et intellectuelles. Ce fut l’époque des rêves d’égalité et de fraternité, des mélodies riches et de la poésie pleurant le sort des opprimés. Qui fait l’ange ne peut malheureusement que finir par faire la bête, les idées encore belles de cette époque préparant la prison moraliste des années suivantes.

Vint ensuite la mascarade punk, triste comédie qui mit plus que jamais la musique entre les mains des managers et autres communicants. En prônant la nullité musicale et l’illettrisme instrumental, les punks affaiblissaient les véritables créateurs. Avec eux , la musique populaire commença à s’uniformiser , donnant ainsi à la jeunesse le culte de la mélodie pauvre et du riff banal. Loin de régénérer le rock, le punk le rabaissa jusqu’à le mettre au niveau des vendeurs de camelote culturelle, créa un monde où des millions de jeunes se mirent à écouter la même musique. De là à laisser les patrons de maisons de disque inventer ce que les jeunes écouteront sagement il n’y eut qu’un pas. Ce pas fut franchi avec la standardisation des processus de production des années 80 , avant d’être confirmé par les guignols pop des années suivantes. Les vedettes de télé crochet, les boys band et autres tartuffes musicaux représentent la suite logique du nihilisme punk. Puisqu’il ne servait plus à rien de maitriser son instrument et d’inventer des mélodies novatrices, la musique n’était plus qu’une question d’image. Fleurissant désormais sur les étagères des dernières boutiques « culturelles » , la niaiserie K pop est l’expression paroxystique de ce triomphe du commerce sur l’art. Pourtant, à l’aube des nineties , une résistance commença à se créer avec la naissance d’un rock dit alternatif. Ces musiciens ne gardèrent du punk que sa soif d’indépendance et son art du bricolage. Les groupes organisaient de petits concerts où ils le pouvaient, des labels indépendants se créèrent pour diffuser cette musique aux curieux. Ces dissidents n’allèrent toutefois pas jusqu’à revenir au raffinement virtuose et aux douces rêveries des sixties, ce monde n’était plus le leur.

Leur monde était plus proche de celui du film Requiem for a dream , un cauchemar où l’oppulence crée un ennui  laissant notre esprit se perdre dans ses délires. La jeunesse des Melvins et des Pixies était sans but et sans rêves , remplie de frustrations et bercée d’illusions. Elle aurait d’ailleurs pu reprendre à son compte le refrain le plus nihiliste d’Iggy Pop «  I feel dirt but I don’t care ». Alors ces groupes reprirent à leur compte la belliqueuse énergie stoogienne , bombardèrent les tympans de leurs contemporains pour réveiller leurs âmes engourdies. Kurt Cobain fut celui qui a fait déferler cette révolte sur le monde, avant d’être progressivement broyé par le show business. C’est que , en voyant l’incroyable succès de Nevermind , l’ange blond du grunge comprit que le système qu’il détestait l’enfermerait bientôt dans une cage dorée. Il n’était alors plus un artiste mais une icône , le commerce fit passer son image et ses frasques devant sa musique. Comble de l’ironie, celui qui se savait piégé enregistra son grand testament musical sur la chaîne ayant imposé une pop superficielle à coups de clips idiots. Si il doit exister un successeur de Kurt Cobain, celui-ci est désormais à chercher dans les méandres de l’underground musical. Cet underground, Ty Segall faillit en sortir lorsqu’une chronique unanime salua la grandeur de son album Manipulator. Mais , refusant de se caricaturer , le dernier espoir du rock brouilla ensuite les pistes jusqu’à perdre le grand public et la critique. Sans doute eut il peur de devenir comme ces légions de musiciens populaires, dont la musique devint fade et monotone lorsque la peur de perdre le succès commença à les tourmenter. Sans être réellement un disque commercial, le synthétique Harmonizer semblait exprimer une volonté de rattraper cette opportunité de gloire perdue.

Disque le moins intéressant de sa discographie, Harmonizer s’avéra trop lisse pour ses admirateurs et trop original pour la foule moutonnière. Ce que propose ce The bells , c’est donc un heavy rock boosté par la puissance écrasante du grunge. Du blues, notre ami a su garder cet art d’inventer des répétitions hypnotiques. Si le synthétiseur est encore de la partie , ce n’est que pour apporter une touche planante à une musique donnant de la gaieté au chaos menaçant popularisé par Nirvana. La voix vient ensuite à nous tel un refrain perçu par un esprit embrumé par un lendemain de fête. Oui Ty Segall est bien une figure digne de celle de Cobain, mais ce qu’il représente le condamne à ne jamais connaitre le même succès. Car, sur The bells , Segall fait une nouvelle fois danser son boogie grunge planant sur la tombe du business rock. Si cette musique symbolise quelque chose , ce sont les derniers élans d’un rock refusant de mourir.                 

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