Au delà du blues : épilogue

Le premier album des Clash fut enregistré en quelques heures. Ce qui frappe d’abord sur ce disque, c’est la simplicité de ses compositions. Les Clash furent par la suite guidés par une multitude d’influences, Simonon apprit à jouer de la basse en imitant les musiciens reggae, Mick Jones fut un rocker pur et dur et Joe Strummer ne cachait pas son amour du rockabilly. Tout cela n’est pas encore visible sur ce premier album, comme si ces influences s’effaçaient pour mieux permettre au groupe de représenter son époque. Nombre de ces titres auraient pu figurer sur un album des Ramones, ce qui est finalement le plus beau compliment que l’on puisse faire à de jeunes punks. La rythmique est sèche, les riffs lancés comme des pavés, les paroles sont d’une précision chirurgicale. Pour en arriver à ce niveau d’efficacité , Joe Strummer dut réfréner ses élans lyriques , ses convictions politiques ayant tendance à rallonger ses textes. Bernie Rodes l’incita à raccourcir son discours, pour ne garder que ce qui constituait l’essence de son message politique.

C’est ainsi que ses slogans de bolchevique annonçant le lendemain du grand soir purent coller à la puissance d’hymnes tels que Janie Jones , I’m so bored with the USA , et bien sûr White riot. Pour se différencier des nihilistes qui les précédèrent , les Clash reprirent Police and thieves , titre issu de ce répertoire reggae cher à Paul Simonon. Le gang avait compris le potentiel révolutionnaire de cette musique jamaïquaine. Dans les banlieues anglaises, le reggae était devenu le cri de ralliement d’une jeunesse en lutte contre le harcèlement des hordes Tatchériennes. Les Clash furent toutefois le premier groupe de rock à reprendre cette puissance révolutionnaire, à revigorer le rock grâce à ses tempos nonchalants. En captant une révolte que le rock ne représentait déjà plus, les Clash firent avec le reggae ce que les Stones firent avec le blues, ils s’en servirent pour faire du rock l’expression d’une révolte juvénile. Police and thieves n’est pas une simple reprise, c’est le satisfaction d’une nouvelle génération.

Seule originalité dans un album très monolithique, le titre montrait aussi la volonté des Clash d’obtenir le succès le plus large possible. Refusant de se limiter à la simplicité ramonesque , les Clash se présentait comme le dernier espoir d’un rock en pleine décadence. Encouragé par les ventes plus qu’honorables de leur premier essai , Columbia demanda à Sandy Pearlman de produire l’album suivant. Connu pour son travail pour le Blue Oyster Cult , Pearlman va concocter un son trop lisse , trop plat , transformant ainsi Give em enough rope en fiasco artistique. Les punks criaient à la trahison mais la popularité du Clash ne se démentit pas. Vint ensuite London Calling , chef d’œuvre passant en revue les influences de la décennie écoulée. Pour affirmer qu’il n’était pas des vendus au grand capital, les Clash parvinrent à convaincre leur label de sortir ce double album au prix du simple. Pour limiter les pertes, Columbia diminua les royalties de ses musiciens.

Jazz , rockabilly , punk , rock n roll,  London Calling fut le générique de fin d’une époque bénie. Suivit Sandinista , triple album brouillon inécoutable en entier , qui déclencha le départ de Paul Simonon et précipita la fin des Clash. Entre temps, un événement allait signer la fin du parcours d’Albert. Les Clash étaient sortis quelques minutes pour prendre une pause avant de boucler les sessions de Sandinista , laissant ainsi notre ami seul dans le studio. Il vit alors un homme s’approcher de lui et pâlit quand il fut assez proche pour être reconnu. Ce visage mince, ce sourire mélancolique , cette allure était celle de Robert Johnson.

  • Tu arrives au bout du chemin. Es-tu sûr de vouloir vivre le dernier acte ?  

En prononçant ces mots, le revenant tendit la main vers Albert , qui la pris machinalement. Il fut alors transporté face à l’immeuble abritant les studios de Columbia à New York. Au bout de quelques secondes, Albert vit Lennon se diriger vers son hôtel après avoir signé un autographe . Le fan qu’il venait d’honorer de sa signature était gros, laid, le genre de profil que les collégiens aiment martyriser. Lennon fit quelques pas, ouvrit la porte de son hôtel. A ce moment, le fan lui cria «  Hé Lennon ! » Le Beatles n’eut pas le temps de se retourner, celui qui l’avait interpellé lui tira six balles dans le dos. La suite passa très vite, Lennon fut conduit à l’hopital , où les urgentistes ne purent que constater son décès. Son agresseur ne se sauva pas , son but était de devenir célèbre en assassinant un des hommes les plus vénérés de son temps. Nous ne citerons donc pas son nom ici et aucun journaliste n’aurait dû le faire. En précisant le nom du meurtrier, les journaux célébraient le triomphe de la médiocrité sur la grandeur, de l’insignifiance sur le génie. Car Lennon était un génie , le plus grand de sa génération , celui à travers lequel s’exprima la grandeur de l’âme humaine s’épanouissant dans le rock. L’auteur de A day in the life, celui dont le groupe traça une voix qui guida le rock de 1960 à 1980, fut tué le 8 décembre 1980. Quelques jours plus tard, les Clash sortaient Sandinista.

L’initiateur du foisonnement des sixties seventies mourrait pendant que le dernier espoir de continuer cette fête se décomposait. Après 1980 , le rock deviendra une série de coups d’éclats épars , sera représenté par quelques génies isolés. C’était la fin de ces scènes locales aussi glorieuses que spécifiques , la fin de cette époque qui vit les grandes heures de la scène de Detroit, les rêveries hippies de la Californie, l’invasion des groupes sudistes, pour finir avec les hordes punk. Pendant vingt ans le rock avait tout absorbé, tout dépassé, tout conquis, cette période s’acheva en ce triste mois de décembre 1980.              

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