Caravan : It’s none of your business

Ce fut la nouvelle de l’année 2021, le retour que personne n’espérait. Il est vrai que la popularité de Caravan est au plus bas depuis des années, mais l’engouement pour la musique de sa génération ne fit que croitre. L’étiquette « classic rock » est aujourd’hui devenue un argument marketing , des dizaines de musiciens étant lancés sur le fructueux marché de la nostalgie rock. Comme toutes les modes, fussent elles plus ou moins underground, cette tendance engendre son lot de dérives ridicules. En se contentant d’aligner les gimmicks et références, certains pensent imposer leurs noms entre ceux des Beatles et de Led Zeppelin. Depuis quelques années, plusieurs disques ressemblent à ces œuvres de cinéastes multipliant les références pour masquer leur manque d’inspiration. Résultat, dans un amas d’attrapes gogos, on trouve seulement une poignée d’albums dignes d’intérêt.

Le rock seventies est redevenu populaire, ce qui permet au moins à l’album It’s none of your business de se faire remarquer. Il est vrai que, d’une certaine façon, ce dernier album parvient à sublimer un swing mélancolique initié dans les seventies. Le changement d’allure de Caravan est flagrant dès les premières secondes de Down from London. Une basse funky ouvre la voie à un violon qui ne nous avait plus autant bouleversé depuis The girl who grow up pump in the night. L’auditeur retrouve enfin ce spleen joyeux inimitable, cette voix hypnotique chantant des bluettes irrésistibles. Le titre se clôt sur un solo d’une rare finesse, un point d’orgue virtuose sans être pompeux. Beaucoup regrettent aujourd’hui la relative discrétion de la guitare, mais c’est bien cette virtuosité mesurée qui fait le charme de l’album. La six cordes ne domine plus, elle ponctue la mélodie et permet le passage d’un instrumental à l’autre.

C’est ainsi que le riff presque heavy de Wishing you were here alterne entre solos tendus et accords très doux. Le titre est ainsi construit comme une suite d’emportements cathartiques et de sublimes accalmies affligées. A l’image de ce portrait musical d’un homme abandonné, It’s none of your business montre un groupe ayant retrouvé une certaine cohérence. Si le morceau titre est plus banal que le reste de l’album, son exemplaire fluidité et son refrain entêtant restent longtemps dans les mémoires. Caravan n’ayant jamais su s’adapter aux modes de son temps, c’est désormais l’époque qui s’adapte à lui. Il célèbre son triomphe tardif avec un enthousiasme communicatif. Un riff sautillant nous fait toucher du doigt les merveilles des fameuses terres roses et grises, la nostalgie du groupe prend des allures d’euphorie triomphale. Vient ensuite la valse d’un violon vindicatif, apothéose baroque rehaussée par des arpèges lumineux.  Ready or not est un tube rock symphonique, un titre voyant Caravan concentrer la puissance épique de ses grandes fresques passées dans une ballade de quatre minutes.

Même quand il ouvre Spare thought sur un instrumental plus dépouillé , sa douceur emporte l’auditeur vers des nirvana pop que seuls les anglais peuvent imaginer. A travers ce genre de ballades , c’est toute la finesse des seventies qui revient nous saluer. Si sa production singe un peu trop le blues spatial de David Gilmour , Every precious little things déploie encore un refrain mémorable. Il y a également cette flûte enchantée portée par un riff toujours aussi classe, bout de rêve sorti du souvenir d’une époque bénie. La première audition de It’s none of your business fait parfois redouter une baisse de régime qui n’arrive heureusement pas. If it was to fly donne une certaine douceur au boogie raffiné inventé sur Waterloo Lily , son riff et son piano cristallin faisant le lien entre le swing de John Lee Hooker et les splendeurs des grandes symphonies européennes.

It’s none of your business est un disque où tout est soigneusement mesuré, un oasis de beauté sublimé par la rigueur exemplaire des musiciens. Tout ici s’écoule avec limpidité, les instrumentaux ont la cohérence des grandes œuvres. Si l’histoire de Caravan semble bien s’arrêter avec ce dernier album, sa beauté fait de notre épilogue une apothéose.      

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