John Mayall : Back to the roots

Peut on encore jouer le blues en 1971 ?

Si l’on regarde le top des ventes de cette belle année, le progressisme triomphant et le heavy rock tonitruant se partagent la part du lion. D’ailleurs, au contact de son rival progressif, ce que l’on nomme le heavy blues se découvre des ambitions artistiques. Led Zeppelin s’essaie au folk avant de se rapprocher du funk , Uriah Heep s’impose comme une version heavy de Yes , sans oublier les expérimentations épiques de Wishbone Ash. Même Johnny Winter semble abandonner le mojo puriste de ses débuts pour devenir une sorte de Chuck Berry sous speed. Le rock s’accélère ou s’alourdit, se complexifie ou se métisse au contact d’autres styles, la marque de ses origines s’estompant au rythme de ses mutations. Pourtant, il existe encore une poignée de glorieux réactionnaires tentant de rallumer la flamme vacillante du blues profond.

Parmi eux, on trouve bien sûr les musiciens que John Mayall aida à grandir. Citons d’abord Eric Clapton, innovateur repenti nageant à contre-courant d’une génération qu’il a influencé. C’est lui qui lança la mode des guitar hero sur un album des Bluesbreakers, avant que Cream ne fixe les codes du hard blues et n’inspire l’acid rock. Puis il voulut revenir au blues, ce vieux briscard ne connaissant pas de refuge plus rassurant. Clapton parvint alors à collaborer avec Duane Allman , le pilier de l’Allman brother band lui permettant ainsi de toucher du doigt cette pureté qu’il effleura si souvent. Layla est un chef d’œuvre car il offre le meilleur de l’excentricité anglaise et la plus solennelle des traditions américaines. Sur des titres comme Bell bottom blues ou Keep on growin , Duane et Eric semblent possédés par les idoles venues du Delta du Mississipi, ce qui crée un contraste jouissif avec le sophistiqué morceau Layla. A l’image de celui qu’on surnomme dieu, les ex Bluesbreakers cherchèrent ce fragile équilibre entre leurs influences poussiéreuses et le courant dissolvant de la modernité.

Trop bavarde pour Keith Richards, la participation de Mick Taylor à l’âge d’or des Stones sera toujours méprisée par un groupe regrettant le swing plus rythmique de Brian Jones. Les solos de Mick Taylor eurent néanmoins le mérite de moderniser le son des Stones sans renier leur passé, mais le plus grand groupe du monde semble cacher ce passage de son histoire comme une maladie honteuse. Harvey Mandel n’eut pas beaucoup plus de chance, sa carrière solo étant bien moins connue que sa participation à la légende de Canned Heat. Qu’importe si le nom de ces glorieux mercenaires s’efface des pages de l’histoire telles des traces laissées dans le sable, leur musique se diffusa suffisamment pour rappeler aux rockers d’où ils venaient.

Dans cette époque folle, une nostalgie s’empara de l’esprit de John Mayall comme la fièvre mystique s’empare du lecteur de Léon Bloy. Il chercha alors à réunir les virtuoses ayant participé à son œuvre, sans y parvenir complétement. Déstabilisé par l’immense succès de Fleetwood Mac , Peter Green s’assomma à coup de LSD , substance qui l’enferma dans des délires mystiques. De cette période naquirent quelques navets qui resteront dans les égouts des dérives hippies. Peter Green venait alors de quitter Fleetwood Mac, il finit par être interné quelques mois plus tard. Si l’on ne peut que regretter l’absence de celui dont la virtuosité intimidait BB King , on ne peut pas dire que ce Back to the roots en souffre trop. Véritable résumé de la carrière de John Mayall , ce disque est toujours digne des grands épisodes qu’il évoque.

L’affaire s’ouvre sur Prison on the road , boogie rock rustique où la guitare d’Eric Clapton redevient l’épicentre du blues de son ex leader. Le violon plonge Slowhand dans un décor poussiéreux, dans lequel ses solos brillent comme une chaleureuse lumière au milieu d’une fascinante cave. My children voit Harvey Mandel succéder à ce dieu sur une ballade psyché/blues que n’aurait pas renié l’Electric flag. Ce sont ensuite trois des plus grands solistes de leur temps qui unissent leurs notes pour rendre hommage à leur père spirituel. Accidental suicide parle bien sûr de Jimi Hendrix , l’ange voodoo qui s’est brulé les ailes à coups de barbituriques , père des plus grands exploits des guitaristes rock modernes et annonciateur de leurs pires dérives. Un harmonica pleure la disparition de ce prodige, pendant qu’une succession de chorus orgiaques célèbrent la mort du défunt.

Les prêtres ont pour habitude de dire que nous finissons par « retourner à la terre ». Avec ce tempos Hookerien , le père Mayall enterre Hendrix dans ce blues qui le fit naitre et grandir, pendant que ses trois apôtres Clapton, Taylor et Mandel racontent l’élévation glorieuse de cette grande âme.  Sur le jazz / rock Groupie girl , le monumental John Almond parvient à faire de l’ombre à Harvey Mandel , maigre revanche du swing jazz sur une révolution rock qui le rendit inaudible.

Il y a dans ce Back to the roots une énergie irrésistible, un souffle redonnant à la tradition blues toute sa vitalité. C’est que, contrairement à ce que laisse paraitre ce disque, John Mayall va ensuite s’isoler de plus en plus. Comme pour les mercenaires venus le saluer, l’âge d’or de John Mayall est désormais plus proche de sa fin que de son début. Le thème de la nostalgie devint alors central dans son œuvre, comme le prouvèrent les albums Memories , Thru the years et Ten years are gones. Back to the roots est l’album d’un homme s’empressant de célébrer son passé avant que tout le monde ne l’oublie. De cette manière, il devient surtout une sorte de sage au milieu d’un monde perturbé, un homme dont les fidèles écoutent chaque album en s’exclamant : « Tout va bien ! Il est encore bon ! »                            

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