C’est comme ces lendemains de fête, quand les amis ont quitté la maison pour laisser leur hôte seul face à ses angoisses existentielles. Au début, la dope fut comme une fête éternelle, elle donna l’impression de pouvoir tout réussir et tout supporter. Puis vint la descente, déferlante d’angoisses et de tourments devant lesquels Cash redevint un enfant craintif et perdu. Alors il prit une autre pilule, qui le soulagea jusqu’à la prochaine descente, qui est toujours plus rude que la précédente. Vint le jour où la chute fut trop rude, la douleur morale trop forte, Cash décida alors d’en finir. Il marcha dans les champs d’un pas robotique, triste bête se dirigeant d’elle-même vers l’abattoir. Il arriva rapidement face à cette caverne où il eut l’habitude de jouer lorsqu’il était enfant. Si il s’enfonçait assez loin dans ce lugubre tombeau , personne ne viendrait le chercher et il pourrait mourir tranquillement.
Il descendit donc dans ce qui devait être sa dernière demeure, quand une brise chaleureuse vint soudainement réchauffer ses os frigorifiés par le manque. Ce souffle semblait venir du fond de la grotte, ce qui parut impossible au vu de la profondeur de cette cavité. Quelques minutes plus tard, une lumière aveuglante sembla recouvrir la roche d’un linceul immaculé. Pour un homme aussi dévot que Cash, ces phénomènes ne purent être qu’un signal de dieu lui annonçant que son heure n’était pas encore venue. Il rebroussa donc chemin, June et la famille Carter l’attendait à la sortie. La chanteuse avait eu un mauvais pressentiment et s’était instinctivement dirigée dans cette direction, certaines personnes ont ce don de pressentir les malheurs à venir. La famille Cash emmena donc Johnny Cash dans une maison isolée, où elle put l’aider à se désintoxiquer.
Pendant plusieurs jours, Cash fut privé de ses satanés pilules, les vendeurs de mort furent tenus à l’écart de sa chambre. Dans cette pièce, il vécut un véritable enfer, son corps ne comprit pas cette soudaine abstinence et réclamait sa dose de poison. Puis, soudain, le manque ne se fit plus sentir et le soulagement fut à la hauteur du calvaire que Cash vécut pour l’obtenir. Notre countryman savait à qui il devait cette renaissance, cette aide ne fit que décupler son amour envers celle qui n’avait pas encore accepté d’être sa femme. Il repartit donc en tournée avec June Carter, et le dernier miracle de cette période eut lieu sur une scène canadienne. La foule enthousiaste applaudit après chaque morceau, Luther Perkins enchainait des doom doom doom plus rassurants que jamais.
A la fin de Ring of fire , Cash demanda June Carter en mariage pour la septième fois devant un public attendri. L’homme en noir s’étant libéré de ses démons, la chanteuse accepta de lui offrir ce qu’elle avait refusé de lui donner pendant de longues semaines. C’est donc un homme neuf qui enregistra ce From sea to shining sea , un chanteur apaisé et plus mature. Sur la pochette, il apparait devant cet aigle symbole de l’Amérique , son visage grave lui donnant des airs de protecteur de la nation. Lettre d’amour adressée à la variété des paysages américains , le morceau titre a le lyrisme fascinant des grands hymnes patriotiques , le gospel salue la grandeur de cette terre multiforme.
Placé en ouverture et en fermeture, cet hymne ajoute un peu de gravité et de lyrisme à un disque où un banjo bluegrass laisse place à des rythmes binaires retrouvant leur gaieté et leur douceur. Si ce disque ne contient aucun tube, il est agréable de réentendre ses chœurs gospels s’épanouissant dans une douce monotonie country. La voix de Cash retrouve ainsi le rythme tranquille de celui qui est juste heureux de poser sa voix sur de belles chansons. Il est parfois bon de laisser le mythe que l’on a construit de coté, de redevenir assez humble pour juste chercher à faire plaisir à ses auditeurs.
Oui, les deux parties du morceau titre sont les seuls passages empreint de la gravité qui fit la légende de l’homme en noir , ce qui n’empêche pas le reste de l’album de s’écouter avec grand plaisir. Johnny Cash vient alors de sortir des limbes et cet album est une belle façon de se remettre de ses émotions.
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